Tu es sans emploi depuis cet hiver, comment s’est passé ton premier contact avec Pôle emploi ? T’y a-t-on informé de tous tes droits ?
Mon premier contact, comme pour tout chômeur ayant déjà été inscrit au Pôle Emploi dans le passé, s’est déroulé via internet afin d’engager la procédure de réinscription. Une réinscription, plutôt simple en soi, avec un dossier rempli en ligne (ou imprimé) que l’on doit ensuite déposer avec des documents demandés, en général : « Attestation ASSEDIC » fourni par l’employeur, les 12 derniers bulletins de salaire, une copie de carte vitale, une copie de la carte d’identité ou titre de séjour pour les travailleurs étrangers et un RIB.
Ensuite, il y a la prise de rendez-vous, également sur la page web de Pôle Emploi, une fois le dossier rempli. J’ai eu trois dates proposées avec des différentes plages horaires.
Mon tout premier rendez-vous avec ma conseillère a été un vrai fiasco. Au lieu d’une demie heure pour l’inscription, l’entretien s’est étalé sur presque deux heures. En effet, la conseillère en question a été issue de l’ancienne ANPE, donc ses compétences concernaient exclusivement l’aide à la recherche d’emploi et non l’inscription qui a été initialement suivie par des agents d’ASSEDIC. Depuis la création du « guichet unique », les employés des deux administrations se sont retrouvés à effectuer des tâches pour lesquelles ils n’avaient aucune formation ni expérience. Même au bout de 3 ans de l’existence du Pôle Emploi, il est, de toute évidence, fréquent de « tomber » sur un conseiller qui ne maitrise pas toute la démarche imposée par le principe du « guichet unique ». Ce qui était présenté comme une facilité, un progrès, une révolution par le précédent gouvernement s’est avéré être en réalité une machine à gaz dans laquelle ni les employés ni les chômeurs ne se retrouvent : les employés non ou mal formés, les entretiens pour des simples questions administratives comme l’inscription qui s’allongent à l’infini, les dossiers bâclés, les rendez-vous annulés, les logiciels mis à jour continuellement avant que la formation de la version précédente soit fournie… si l’on y rajoute le nombre des personnes à la recherche d’emploi qui augmente, j’ai rapidement compris, par mon expérience, que le Pôle Emploi a beaucoup plus besoin d’aide qu’il ait des capacités réelles à aider qui que ce soit.
Étant donné que la partie de l’entretien réservé à l’inscription a duré trop longtemps, la partie concernant la recherche d’emploi a été tout simplement survolée. Et je précise que c’était justement le domaine de compétence de la conseillère en question, qui avec tous les tracas rencontrés lors de l’inscription, ne me semblait ni motivée ni concentrée pour continuer ce rendez-vous.
Donc, non, je ne pense pas pouvoir dire que j’ai été réellement informé de tous mes droits et de toutes les démarches. La suite de l’entretien s’est limitée à l’essentiel, donc le remplissage automatique du dossier de recherche d’emploi dans le logiciel de Pôle Emploi, histoire de faire une mise à jour du dossier et d’avoir une trace écrite du rendez-vous.
Tu as vite demandé à faire une formation pour changer d’orientation professionnelle, et là, on va t’envoyer vers une structure extérieure passer des bilans de compétences ?
Oui, la formation a été l’une des solutions que j’avais retenues. J’envisageais effectivement une réorientation professionnelle et j’en ai fait part à ma conseillère.
Il y avait déjà une recherche et un travail effectué en amont, je savais exactement ce que je voulais. Ce dont j’avais besoin étaient plutôt des moyens et une manière pour y arriver, un coup de pouce puisque la motivation a été réelle, sans perdre beaucoup de temps.
Au lieu d’avoir une réponse concrète à mes interrogations, il m’a été tout simplement dit que le Pôle Emploi n’est plus habilité à effectuer les bilans de compétences (je précise : je savais déjà quelle direction je voulais prendre), et j’ai été effectivement envoyé vers une structure extérieure habilitée à faire un bilan de compétences, faire passer des tests et émettre des préconisations… en fonction de mes compétences mais aussi, et surtout !, en fonction du marché d’emploi.
Le passage par ces bilans de compétence t’a-t-il été présenté comme obligatoire pour une demande de formation ?
Cela ne serait pas obligatoire si j’avais effectué les démarches tout seul par mes propres moyens sans en référer au Pôle Emploi. Mais dans le cadre d’un projet personnalisé de recherche d’emploi qui est impératif pour chaque demandeur, selon la conseillère que j’ai rencontrée, toute demande de formation passe par un bilan de compétences d’une durée plus ou moins longue qu’il s’agisse d’une validation des acquis, d’un perfectionnement dans le même métier ou d’une réorientation professionnelle. Et toujours par des organisations extérieures au Pôle Emploi, les « sous-traitants ».
Certains organismes de formation n’acceptent pas de candidature si les « enquêtes-métier », qui font partie du bilan de compétences, ne sont pas effectuées. D’autres exigent même un stage de découverte de deux semaine à deux mois.
Tu connais le statut de cet organisme « sous-traitant » ?
En ce qui concerne l’organisme que j’ai fréquenté, il s’agit d’une association de type loi 1901 à but non lucratif. Mais le secteur n’est pas réservé aux associations. Les organisations privées ainsi que les boites d’intérim peuvent fournir et fournissent le même type de services. Les partenariats passent aussi par des appels d’offre étant donné que ces organismes sont finalement financés par l’Etat en fonction du nombre de candidats accompagnés.
Bon nombre d’associations et d’agences privées ont été montées ces deux-trois dernières années.
En général, ces établissements sont aussi des centres de formation et tout simplement les agences d’accompagnement des chômeurs. Des « pôle-emploi » indépendant financés directement par l’Etat. C’est devenu un secteur d’activité à part entier. Chaque chômeur accompagné est un contrat.
Ces bilans de compétence n’ont pas toujours été externalisés ?
A ma connaissance et selon les dires de ma conseillère, non. Je me rappelle que, lors d’une période de chômage en 2004, ce bilan de compétences m’a été proposé par l’ANPE dans les locaux de l’ANPE et animé par les conseillers de l’ANPE.
A un moment donné, la décision a été prise pour externaliser et sous-traiter ce type de prestations parmi un bon nombre de prestations initialement fournis par l’ANPE et aujourd’hui par les « sous-traitants ». A coté de certains services d’aide aux chômeurs, les conseillers de Pôle Emploi n’interviennent plus dans les entreprises et dans les campagnes de recrutement des entreprises locales comme avant. Cette fonction, anciennement faisant partie de la palette de compétence de l’ANPE, est tout simplement laissée à l’abandon ou plutôt à des prestataires privés.
Quel genre de questions on t’a posé dans ces bilans ?
Mon seul et unique interlocuteur, pour ainsi dire, était un ordinateur ! En effet, les entretiens avec des conseillers se limitent à l’explication de la démarche et, par la suite, l’interprétation des résultats. On est très loin des entretiens avec des « professionnels » susceptibles de repérer les compétences, les motivations et ainsi fixer la démarche à suivre avec un demandeur d’emploi.
Tous les tests se passent sur l’ordinateur et un logiciel spécifique. Il y en avait plusieurs et de différents types. Les tests sur la personnalité, les tests sur les expériences passées et les compétences acquises et les tests sur la recherche réelle et immédiate.
Sans entrer dans les détails et une critique, et il y a de quoi critiquer, je dirai seulement qu’il suffit pour la personne qui passe ces tests de savoir ce qu’il veut et orienter les réponses dans ce sens ce qui « fausse » complètement les résultats. Tout est automatique et il n’ y a absolument aucune objectivité.
Cela ressemble à certains tests psy que l’on peut parfois passer lors des entretiens de recrutement.
Un camarade du BTP me disait récemment que la boîte d’intérim lui avait fait passer des tests où on lui demandait un moment s’il était prêt à travailler de week-end. As-tu eu affaire à du profilage de corvéabilité de ce genre ?
Oui. Que le test concerne la personnalité, l’expérience pro ou la recherche, les questionnaires sont remplis des questions examinant les « limites » d’une personne et ce qu’elle serait prête à « accepter » dans le cadre de son travail : le travail le week-end, la nuit, le mi-temps, les déplacements, le travail physique, l’impact de la vie familiale sur l’emploi et son contraire etc.
Cela va même jusqu’à tester la personnalité par rapport à son environnement : comment se comporte-t-on avec les collègues ? aime-t-on avoir un encadrement direct et présent ? Que fait-on dans le cas d’un conflit entre un collègue et un supérieur ?!
Je regarde les résultats du bilan : des profils pré-établis avec un pourcentage atteint dans chacun d’entre eux. Ça me fait penser aux tests des magazines « féminins ».
J’ai pensé exactement la même chose. Et je crois bien que le principe soit le même. Chaque réponse comporte un nombre de points, positifs et négatifs, le cumule de ces points, indépendamment de la question posée, donne en quelque sorte les « traits de la personnalité » du candidat. Cette personnalité, ainsi que l’expérience pro sont ensuite calquées sur les métiers correspondants relevés par les tests, et on choisi la « formule gagnante ». Et encore, il faut que cette combinaison corresponde à une demande sur le marché du travail, sinon le candidat est renvoyé à la case départ ou est invité à chercher une alternative.
Ces tests réduisent chaque candidat à un pourcentage et un profil type. Ils sont réducteurs.
Un de ces organismes où tu as passé les bilans fait parler de lui actuellement sur la ville avec la mise en examen de sa directrice. La marchandisation des services, c’est pas comme du profit tiré de la production, c’est un secteur où l’on imagine facilement la possibilité d’abus et de combines ?
La directrice a été même condamnée récemment. J’ai entendu parler de cette affaire lors de mon passage dans cette association. Le personnel a été assez embarrassé par mes questions mais d’après ce que j’ai compris, « trafiquer » les fiches de présence des candidats est assez courant dans le milieu. En l’occurrence, cette ex directrice condamnée le faisait assez régulièrement pour le compte de l’organisation mais aussi pour son compte personnel.
Comme je l’ai dit plus tôt, aujourd’hui, il y a un réel « marché » de l’accompagnement des chômeurs. Chaque chômeur est un contrat. Je n’ai pas trouvé des chiffres exacts mais selon certains sources, UNEDIC verse plus de 2500 € pour un chômeur accompagné auxquels s’ajoutent les primes si la personne retrouve un emploi. Donc le montant touché par ces organismes pour chaque chômeur peut facilement dépasser 4000 € !
On est arrivé à générer le profit sur le dos des chômeurs !
Il y a déjà des abus signaler par le personnel de ces organismes, très largement exploité, : le fait de faire signer à des chômeurs des entretiens qui n’ont jamais eu lieu, le fait d’abandonner les dossiers, un fois la moitié de la subvention de l’état versée, sachant alors que le suivi des chômeurs n’est plus rentable, les fausses fiches de présence pour les séances de bilan de compétences ou de formation etc.
Récemment, il y a eu le cas d’une agence qui s’est montée dans le sud de la France et qui a décroché un contrat avec UNEDIC pour le suivi de 600 candidats. Le problème c’est que cette agence avait seulement deux employés et n’avait même pas de locaux.
Les portes sont donc ouvertes à tout type d’abus.
Finalement où en es tu de ta demande de formation ?
Au même stade qu’il y a plus de 6 mois. Je sais toujours ce que je voudrais faire, et surement pas « grâce » à ce bilan de compétence, mais une fois devant les centres de formation, les portes sont fermées. Pour certaines formations, très utiles avec un réel besoin sur le marché du travail, il n’y a tout simplement pas assez de places vu le nombre de candidats. Donc, on s’inscrit sur les listes d’attente et on attend, ou on cherche une alternative, ou on abandonne complètement le projet.
Néanmoins, avec tout le budget gaspillé dans cette histoire des prestataires externes qui profitent sur le dos des chômeurs, il y a de quoi créer des nouvelles places dans les centres de formation.
Une nouvelle preuve que l’Etat et celles et ceux qui nous gouvernent sont bien loin de nos réalités et nos conditions à nous.
Comme tu dis, en attendant que ton droit à la formation se concrétise enfin après ces bilans inutiles, sauf en tout cas pour les organismes qui les font passer. Merci pour cet entretien et à bientôt.
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Annexe :
La liste des centres de bilan de compétences doit être disponible auprès des DIRECCTE (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), sur le site central desquelles on ne l’a pas trouvé, mais où l’on a remarqué la « déclaration d’activités » :

(capture d’écran sur le site de la DIRECCTE : « il n’existe pas d’agrément des prestataires de formation »)