Aide alimentaire – le baromètre de la pauvreté

(Éditorial du bulletin de janvier)

« Aujourd’hui, on n’a plus le droit, ni d’avoir faim, ni d’avoir froid … » Cela fait 28 ans que l’on entend le même refrain. Cependant, depuis la création des Restos du Cœur, il y a 28 ans, celles et ceux, qui ne devraient avoir ni faim ni froid, sont 13 fois plus nombreux-ses. Et leur nombre n’arrête pas d’accroitre d’année en année.

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 L’année dernière, seuls les Restos du Cœur sans compter les autres associations de l’aide alimentaire et les épiceries solidaires, ont distribué plus de 115 millions de repas à 870 000 de personnes inscrites, soit une augmentation de 30 % sur les cinq dernières années. La demande de l’aide alimentaire est à l’image de la croissance du chômage et de la précarité. Mais pas seulement. L’analyse de ces chiffres est alarmante. 40% de demandes sont faites par des familles monoparentales, notamment les femmes seules avec les enfants. 32000 enfants de moins de 12 mois ont été accueillis en 2011. Le nombre de séniors ainsi que de jeunes 18-25 ans augmente chaque année. Et depuis quelques années, cette association, s’adressant à l’origine à des couches les plus précaires et sans emploi, est de plus en plus sollicitée par les personnes ayant un emploi. En 2011, plus de 7 millions de repas ont été distribués à des travailleuses et travailleurs en activité dont les revenus, constamment en baisse par rapport à des prix qui augmentent, ne permettent plus de satisfaire les besoins les plus élémentaires. Ce n’est pas que les Restos du Cœur ont élargi leur champs d’actions, c’est surtout que les travailleuses et les travailleurs n’arrivent plus à vivre décemment même quand ils/elles ont un emploi et des revenus « stables ».

Lorsque l’on se retrouve face à la précarité, malgré un emploi et un salaire, et lorsque l’on essaye de réaliser des économies en renonçant d’abord à tout type de loisirs et de sorties, ensuite en résiliant les différents abonnements liés au téléphone ou internet, en limitant les transports, les déplacements et les vêtements à un strict minimum nécessaire, pour enchainer sur les économies de l’eau, de l’électricité et du gaz quitte à passer l’hiver sans chauffage, et en constatant que cela n’empêche l’accumulation des factures impayées, la dernière coupe qu’un foyer subit, avant de perdre leur toit, est celle de l’alimentation. L’impossibilité de se nourrir, tout simplement, le fait de devoir avoir recours à l’assistance sociale et de dépendre d’une aide alimentaire est une des étapes des plus difficiles à franchir pour une famille sombrant dans le cercle infernal de la pauvreté. A côté de celles et ceux qui ont réussi, tant bien que mal, à franchir cette étape, combien sont celles et ceux qui restent isolé-e-s en essayant de cacher leur situation personnelle dans ce monde stigmatisant la pauvreté et la précarité, notamment par le biais des médias et des politiques et leurs discours sur « assistanat » ?

Cette année, seulement un mois après le lancement de la nouvelle campagne hivernale, 100 000 nouvelles personnes (12%) de plus se sont inscrites sur les listes des Restos du Cœur. Il ne s’agit pas d’une simple augmentation, mais d’une véritable explosion de demandes. Une explosion qui a été déjà observée quelques mois plus tôt, lors de l’inter-campagne (avril-octobre 2012), avec une augmentation de 35% de demandes de l’aide par rapport à 2011.

Dans ce contexte de constante augmentation de pauvreté, la seule réponse trouvée par le gouvernement bourgeois de J.M. Ayrault est l’organisation de la conférence contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, le 11 et le 12 décembre dernier. Une conférence qui concerne les gens et les situations dont les politiciens ignorent absolument tout. Hélas, il faudra attendre le 22 janvier pour une synthèse des mesures concrètes à mettre (ou encore à ne pas mettre) en place. L’Etat fait preuve de beaucoup plus de réactivité et d’urgence lorsqu’il s’agit des cadeaux aux entreprises, même à celles qui licencient, et aux plus riches, toujours un peu plus riches chaque année.

Pendant ce temps là, même le Programme européen de l’aide aux plus démunis (PEAD) est en train de diminuer drastiquement et l’existence de ce plan est en jeu. De 4,7 milliards d’euros espérés par les associations, seulement 350 000 millions d’euros par an pendant 7 ans à partir de 2014 ont été proposés par la commission européenne, soit une baisse de 30 % par rapport au budget actuel déjà diminué en 2011. Ce budget, issu des surplus de la Politique Agricole Commune (PAC), bénéficie à plus de 18 millions d’européens les plus démunis et représente de 30% à 80% de ressources des associations bénéficiaires, y compris les Restos du Cœur. En France, le PEAD finance plus de 150 millions de repas et c’est cette aide directe qui est en train de disparaître.

Nous n’avons rien à attendre ni de l’Etat ni des instances européennes, et dans tous les cas, ces associations dépendent avant tout des travailleuses et des travailleurs.

Même si les subventions, notamment européennes, jouent un rôle important dans le budget, ce sont bien les dons des particuliers qui représentent 52% des ressources des Restos du cœur. En 2011/2012 ce sont quelque 92,8 millions d’euros de dons collectés et plus de 155 millions d’euros qui représentent une valorisation estimée des heures du travail réalisées par 65 000 bénévoles dont l’association a bénéficié. Un engagement et une mobilisation colossale des travailleuses et travailleurs qui répondent présent-e-s chaque année, malgré le danger constant qu’ils se retrouvent eux même demandeurs de l’aide dans quelques mois ou années. Ils/elles font mentir tous les discours sur la « nature humaine » et un prétendu « égoïsme naturel » de l’Homme, servis régulièrement par la bourgeoisie et les réactionnaires dès que l’on mentionne la solidarité, l’égalité et la liberté. Un monde meilleur. Bref, le Socialisme.

Tout en saluant cette mobilisation des bénévoles de différentes associations, il est très important de souligner que les raisons de la précarité et la pauvreté, elle-même, trouvent leur source directement dans le système capitaliste et que la seule manière de nous en débarrasser est de nous débarrasser de capitalisme. L’engagement et la solidarité des bénévoles des Restos du cœur et d’autres associations qui se mobilisent depuis des années méritent le respect et ce travail soulage le présent de beaucoup d’entre nous. Cependant, cela n’empêche pas les licenciements, la hausse de chômage et la baisse des salaires, et ne fait diminuer ni la pauvreté ni le nombre de pauvres. Tant que le spectre de chômage, de la précarité et de la pauvreté existe, la bourgeoisie aura un moyen de pression sans faille sur la classe ouvrière. Attendre les mesures contre le chômage et contre la pauvreté est illusoire. C’est à nous, les travailleuses et les travailleurs, et par la lutte, que revient la tâche de changer le cours de l’Histoire.

rdc