Entretien avec Fabrice sur le surendettement

Dans ton boulot de commercial, tu as été amené à vendre des crédits à des gens. Étais-tu conscient du risque de surendettement pour eux ?

Tout d’abord, pour comprendre le rapport entre le commerce et le financement, je tiens à préciser que je n’ai jamais travaillé auprès d’une banque ou quelconque organisme financier. La mise en place de différentes solutions de financement auprès de mes « clients », que j’ai été amené à faire, représentait une activité annexe. Cette activité annexe, la vente des prêts et des crédits, est devenue incontournable pour chaque commercial, quel que soit son secteur d’activité. Que le vendeur bosse dans un magasin de grande distribution, un magasin spécialisé, un concessionnaire d’automobile, une boite de seconde œuvre, chez un constructeur des maisons individuelles, peu importe, il propose systématiquement les solutions de financement.

Cela s’explique, d’un coté, par l’impossibilité d’exercer une activité commerciale sans avoir des solutions de financement qui vont avec, et de l’autre, par les partenariats très lucratifs pour les entreprises. En clair, les financements permettent de vendre mieux et plus facilement tout en gagnant de l’argent.

De nos jours, un vendeur connaît les solutions financières avant de connaître les produits qu’il est censé vendre. Dans une majeure partie de différentes activités commerciales on ne vend plus l’utilité, la technicité et la qualité des produits mais surtout le financement et la manière d’acquérir ces produits. C’est pour ça que l’on ne vend plus un ordinateur à 600 €, mais à 1€ par jour, on ne vend plus une voiture 15000€, mais plutôt 250 € par mois, on ne vend plus un pavillon à 220 000 € mais on propose de devenir propriétaire pour le montant équivalent à un loyer mensuel… Pratiquement, à l’exception de quelques petits commerces, toute activité commerciale en France tourne autour des solutions de financement, donc des crédits et par conséquent de l’endettement des consommateurs qui peut devenir assez rapidement et très facilement le surendettement.

Bien entendu, mes collègues et moi, et ça doit être pareil pour la plupart des commerciaux, on n’accordait pas les différents crédits sans quelques vérifications au préalable comme les revenues du foyer et les emprunts en cours. Cela permet de calculer les taux d’endettement, mais pas forcement pour protéger le client de surendettement ! C’est surtout pour voir de quelle manière le mieux exploiter son taux de solvabilité. On ne demande plus de quel montant le client dispose à un moment donné, mais de quel montant il pourrait disposer sur une période donnée. Si le client n’est pas capable de financer un achat de 5 000 € dans l’immédiat, on peut toujours faire en sorte qu’il soit capable de financer 100€ par mois pendant 5 ans .

Le fameux taux d’endettement de « 33% », par rapport aux revenus, n’est que théorique car on le contourne assez facilement et assez souvent. Lors de mon expérience dans la promotion immobilière, j’ai connu des personnes qui sont devenues propriétaires de leur logement en s’endettant lourdement avec des mensualités qui dépassaient largement ces « 33% ». Parce que les vendeurs, y compris moi, et leurs partenaires, les banques, considéraient que ces dossiers ne représentaient aucun risque particulier au moment de la souscription. Dans ce cas de figure, ces ménages n’ont plus aucun droit aux écarts dans la gestion de leur budget. Et il suffit d’un petit événement qui augmenterait les charges de la vie quotidienne : une augmentation de prix de carburant, une naissance, un changement de la situation professionnelle, une voiture qui tombe en panne, pour que ces ménages se retrouvent dans une situation de surendettement réel.

Je n’ai jamais pris en considération ces éventuels aléas de la vie dans le montage des dossiers de financement, parce que ni le cadre juridique ni l’organisme de financement ne le demandent. Le client tient à acquérir le produit en question et est souvent assez réceptif à ce type de montage financier malgré les taux d’intérêt assez élevés et la dangerosité d’un tel engagement.

En tant que commercial, je n’ai pas forcement été conscient de tous ces risques au début de ma carrière. Je le suis devenu en cours de la route en entrant en contact avec les situations concrètes. Avec de l’expérience. Même s’il est vrai aussi que mes activités bénévoles dans différentes associations m’ont permis de me rendre beaucoup plus facilement compte des dégâts que le crédit à la consommation, mais pas seulement, laisse derrière lui. C’est plutôt ça qui m’a amené à me poser des questions sur ce sujet.

Est-ce que pour les collègues, c’est un sujet de discussion, de souffrance, ou c’est totalement mis de côté ?

Il faut savoir que pour un commercial au moment où il fait souscrire un emprunt à son client, la solution de financement proposée correspond à la situation de ce client. Du point de vu de commercial, là, il s’agit bien d’une solution de financement qu’il apporte à son client et que le client accepte. Ce qui peut arriver par la suite, de quelle manière le client va gérer ses comptes, faire face aux imprévus etc. cela relève des suppositions et non des faits réels au moment de signature. Donc cela n’est plus le « souci » d’un vendeur. C’est de la responsabilité de client. Et en général, le commercial n’en est même pas au courant.

Je n’essaye pas de défendre les commerciaux, j’essaye juste d’expliquer d’une manière objective un raisonnement habituel d’un vendeur. Le commercial est conditionné pour ce type de pragmatisme et de relativisme dès le début. Lors de sa formation, déjà.

On lui apprend de l’empathie pour pouvoir « vendre bien » et surtout on lui apprend de ne pas tomber dans la compassion pour pouvoir « vendre le plus longtemps possible ».

Néanmoins, un commercial est un humain et n’agit pas comme une machine même si ça réussi plutôt bien à certains. La plupart des commerciaux expérimentés sont complètement conscients des dangers qu’ils font courir à leur client et peuvent réagir de différentes manières. Certains en parlent, d’autres préfèrent se taire quand il s’agit de ces sujets là. Mais tous essayent de passer outre en faisant appel à une certaine fatalité en se disant que si ce n’était pas eux, quelqu’un d’autre l’aurait fait. Ce qui est d’ailleurs vrai. Les vendeurs sont des travailleurs comme tous les autres. D’ailleurs, certains se retrouvent dans les situations de surendettement eux même. Ils n’ont pas mis en place le système, ils en font partie. Ils ne peuvent le changer, à aucun niveau, ils peuvent seulement le réfuter en remettant en question leur continuation dans le secteur commercial.

Généralement, lorsqu’un commercial commence à avoir un souci avec ce sujet, s’il hésite, s’il se remet en question, cela est immédiatement visible sur ses résultats. Donc, soit il démissionne, soit il est licencié.

J’ai eu des collègues qui ont effectivement quitté le secteur commercial justement parce qu’ils ne croyaient plus en ce qu’ils faisaient.

Le management est très soucieux du fait que rien ne perturbe la Force de Vente, sa cohésion et sa dynamique. Les éléments perturbateurs sont rapidement écartés d’une manière ou l’autre.

Quelles étaient les consignes de l‘entreprises, des managers, sur ce sujet ?

Mon expérience commerciale la plus significative était dans la promotion immobilière. J’ai été même amené, à la demande de direction, à conclure des partenariats avec des agences bancaires locales autour des programmes immobiliers dont je m’occupais. C’était une tache importante. Parce que comme je le disais, aujourd’hui il n’est plus possible de vendre un produit sans proposer des modes de financement adéquats qui vont avec. C’est la raison pour laquelle, quel que soit le secteur d’activité, les entreprises ont des contrats, exclusifs ou pas, avec des banques ou autres organismes financiers, au niveau national ou au niveau local. En mettant les organismes financiers en concurrence, les taux baissent et les commissions augmentent. Ça permet aux entreprises de proposer les financements attractifs à leurs clients et en même temps toucher les commissions sur les crédits vendus. Les entreprises sont doublement gagnantes. C’est la raison pour laquelle un soin particulier est apporté à la formation des commerciaux sur des questions financières. Le volet financier fait partie de chaque phase « découverte client » et de toute argumentation commerciale. Tout cela dans le but d’apporter des outils efficaces aux commerciaux, d’augmenter les ventes et donc les bénéfices de l’entreprise.

J’ai régulièrement vu les notes internes annonçant un nouveau contrat avec une banque, un nouveau taux « très attractif » pour nos clients, un challenge sur la vente de produits de tel ou tel organisme de financement etc. Par contre, je n’ai jamais vu une consigne nous demandant de faire attention aux taux d’endettement de nos clients !

Bien au contraire. Si jamais je mettais dans mon compte rendu après le rendez-vous avec un client qu’il n’était pas solvable et de ce fait je fermais son dossier, ce dossier partait directement au service financier du promoteur où il était réexaminé par une armée de comptables et immédiatement transmis à un autre commercial, un collègue, pour que le client soit relancé avec une autre solution de financement.

La priorité est la vente, et non la vie des personnes.

Est-ce que pour l’entreprise, le plus important, c’est de vendre un produit ou de placer un crédit ?

Le financement est une aide à la vente. Ce qui est le plus important pour l’entreprise c’est que la vente réussisse. Que cette vente soit accompagnée d’un crédit ou pas, ce n’est pas si important en soi.

Aujourd’hui, vu le niveau des prix d’un coté et des revenus de l’autre, pour les achats d’un certain montant, les deux vont ensemble.

Le financement est aussi devenu un outil marketing efficace. Les mensualités permettent de « dédramatiser le prix » du produit. Il est toujours beaucoup plus facile d’attirer un client en proposant une voiture à 199 € par mois qu’avec un prix de 15000 €. Cela marche avec tout type de produits. Il suffit de regarder les panneaux publicitaires, les pubs à la télé, les prospectus que l’on reçoit dans les boites à lettre… Tout tourne autour de financement.

Comment verrais tu la lutte contre le surendettement ?

Le surendettement est directement lié à la notion de l’endettement. On ne peut pas lutter contre si l’on ne règle pas le souci d’endettement qui crée les conditions favorables pour le surendettement. Et l’endettement ne peut être réglé qu’en permettant aux gens de vivre d’une manière décente sans avoir recours aux emprunts.

Le surendettement était un choix politique conscient et volontaire. Si aujourd’hui on parle autant de surendettement, si le nombre de dossier de surendettement a explosé les dernières années, c’est parce que justement tout a été mis en œuvre pour endetter les consommateurs. Tout a été fait pour permettre le développement des organismes de financement et l’accès des particuliers à ces financements sans aucun contrôle, aucune régulation. Tout pour consommer toujours davantage et surtout en période de crise où le prix des produits n’arrête pas d’augmenter et les revenues des foyers stagnent, voir diminuent.

Afin de se démarquer de ses adversaires et surtout ne pas prôner « la relance par la consommation » défendue par les autres, l’un des candidats à la présidentielle a déclaré lors de sa campagne il y a un peu plus de 5 ans : « La France est trop endettée, les Français pas assez. ». Quelques mois après cette déclaration, passée presque inaperçue, il a été élu président de la république. Et les financiers et les agences commerciales ont reçu le feu vert pour inonder le marché avec les crédits de toutes sortes et de cette manière créer un pouvoir d’achat complètement artificiel pour les ménages qui à défaut des revenus corrects et afin de pouvoir subvenir à leur besoin n’avaient d’autres choix que de s’endetter. Le secteur commercial a reçu le feu vert de vendre en jouant, non sur l’économie des travailleurs, mais sur leur capacité d’endettement.

La vie même de ces personnes a été mise en danger volontairement. Les drames provoqués par les cas d’endettement excessif ont été créés par une volonté politique claire. Le système capitaliste a continué à fonctionner grâce aux dettes des particuliers et le prix de ce fonctionnement a été payé et continue à être payé et lourdement payé par des travailleurs, des précaires, des chômeurs etc.

Pour moi, aujourd’hui, la seule solution juste pour mettre fin au surendettement est l’annulation pure et simple de toutes les dettes. Tout cela accompagné d’une augmentation de salaires immédiate et la mise en place des prêts à taux zéro pour tout projet qui concerne l’amélioration de l’habitat, le logement, le transport, l’équipement domestique etc afin de permettre une vie descente à tous les travailleurs, de leur permettre la possibilité d’acquérir les produits et services dont ils ont besoin sans s’endetter, et éviter les situations d’endettement excessif.

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